Dans une scène devenue culte de Palombella Rossa de Nanni Moretti (1989), le personnage principal interprété par le cinéaste lui-même, ulcéré par le langage galvaudé de la journaliste qui l’interviewe, lui flanque deux mémorables claques en hurlant : « Mais comment parlez-vous ? Les mots sont importants ! » Scène burlesque et virulente certes, mais qui rappelle une chose toute simple, - et pourtant tout un programme - assénée par le personnage qui conclut : « Qui parle mal, pense mal, vit mal ». L’intransigeance, genre adorable sale gosse, de Moretti prête sans doute à sourire, mais soulève aussi une question majeure, à savoir les choix opérés inlassablement par celui qui donne des nouvelles du monde aux autres.
Comment regarder le monde, et surtout comment en rendre compte ? Dans quels enjeux de pouvoir économique, politique, symbolique, inscrire ce geste ? Dans Comment ça va ? de Jean-Luc Godard (1976), qui déconstruit implacablement la fabrique de l’information, Odette demande en effet : « Comment ça va, de l’entrée jusqu’à la sortie de la machine à écrire, car notre pouvoir de journaliste, il est là merde, il n’est pas ailleurs ». Qui décide ce qu’est une information ? Qui ou plutôt qu’est-ce qui décide de l’ordre du jour ? La chasse à l’audience comme dans Network (Sidney Lumet, 1976) qui préfigure de manière époustouflante l’ère actuelle des réseaux et capitaux sans frontières ? Ou l’obstination de deux jeunes journalistes débutants qui osent enquêter sur le président des États-Unis (Les Hommes du Président, A. J. Pakula, 1976) ? Et si dans notre monde contemporain obnubilé par le "buzz", les deux s’imbriquaient nécessairement ?