Larmes de clown
De Victor Sjöström(He Who Gets Slapped), Avec, Lon Chaney, Norma Shearer, John Gilbert, Tully Marshall, Fiction, USA, muet, 1924, 71 min, Noir et blanc
Trahi par sa femme et son ami qui lui volent le fruit de ses travaux au moment oĂč il sâapprĂȘtait Ă rĂ©vĂ©ler des dĂ©couvertes sur les origines de lâHomme, le scientifique Paul Beaumont se retire du monde. Il refait sa vie dans un cirque oĂč sous le nom de He il devient le clown qui reçoit des gifles de tous les autres clowns. Il sâĂ©prend dâune Ă©cuyĂšre, elle-mĂȘme amoureuse dâun autre homme, mais que son pĂšre promet dĂ©jĂ Ă un mystĂ©rieux prĂ©tendant...
Il nâest jamais inutile de rappeler lâimportance de Victor Sjöström, pionnier du cinĂ©ma autant aux Ătats-Unis que dans son pays dâorigine, inventeur de formes, auteur de merveilles telles Les Proscrits (1918), La Charrette fantĂŽme (1921) ou Le Vent (1928). Un grand cinĂ©aste suĂ©dois en rendant hommage Ă un autre, il sera Ă©galement lâimmense interprĂšte du personnage principal des Fraises sauvages (1957) dâIngmar Bergman. Chef-dâĆuvre du cinĂ©ma muet, adaptĂ© dâune piĂšce de Leonid AndreĂŻev, Larmes de clown est un film fondamental dans lâhistoire du cinĂ©ma. Dâabord parce quâil proclame lâentrĂ©e vĂ©ritable de Victor Sjöström Ă Hollywood suite Ă sa carriĂšre en SuĂšde, ensuite parce quâil constitue la premiĂšre production de la MGM qui vient dâĂȘtre fondĂ©e. En outre, câest la premiĂšre fois quâapparaĂźt le lion rugissant en ouverture ! Lon Chaney y porte la vengeance Ă des sommets mĂ©lodramatiques et mĂ©taphysiques, quelques annĂ©es avant de se surpasser chez Tod Browning dans ses incarnations de personnages inquiĂ©tants, grotesques et tourmentĂ©s (LâOiseau noir, La Route de Mandalay ou LâInconnu). Lâhomme aux mille visages offre ici tout son gĂ©nie expressif au personnage, rĂ©pĂ©tant lâhumiliation quâil a subie dans le passĂ© dans son nouveau rĂŽle de clown qui se prend des claques, maltraitĂ© Ă vie, maltraitĂ© par la vie. Presque anonyme, il nâest plus que He, bien avant que Stephen King nâĂ©crive It. De fait, la mĂ©taphore est sombre et sans illusion, et Larmes de clown sâavĂšre profondĂ©ment misanthrope. Le bouffon se confond au tragique, dans un monde identifiĂ© Ă une vaste mascarade. Avec sa mise en scĂšne et son montage incroyablement novateurs, Larmes de clown continue de bouleverser presque cent ans aprĂšs. On pourra, par ailleurs, sâamuser Ă reconnaĂźtre, dans le rĂŽle dâun clown, une autre lĂ©gende du cinĂ©ma dâĂ©pouvante, non crĂ©ditĂ© au gĂ©nĂ©rique : un certain Bela Lugosi.