Salesse + Nofinofy
Salesse
Documentaire | France | SD | 2018 | 17 min | Cinéma Numérique 2K
de Geoffrey Chambord
Les hirondelles et le vent chantent comme s’il n’y avait plus personne à Salesse. Pourtant sous eux quelqu’un s’affaire, un ogre. Il y a beaucoup à faire dans les broussailles, devant la bâtisse plantée là comme un monumental vestige. L’ogre est au travail, boitant d’une tâche à l’autre, rondins de bois à ranger, herbes à faucher. L’ogre râle, maugrée, son patois est pour les rondins et les herbes. L’ogre a un nom, et d’ailleurs ce n’est pas un ogre: Damien est un ancien commis de ferme, qui n’a pas cessé d’habiter ce grand domaine de Salesse, en Limousin. Sa vie entière, on le suppose, tient dans ces quelques travaux qu’un matin il a offerts (mais en lui tournant le dos) à la caméra de Geoffrey Chambord; ses grommellements sont la musique qu’il se joue pour accompagner son travail, une litanie sans autre objet que de tenir compagnie au bruit âcre de sa faux. C’est une vie et une musique a priori connues: la campagne française, et ces vieux qui seront peut-être les derniers à marmonner sous les hirondelles. Mais le Salesse réinventé par la caméra de Geoffrey Chambord est une terre étrangère et mythologique, un pays de pierres et de géants sur une terre penchée et sous une lumière indécise, proche à cet égard de celui qu’avait inventé Pedro Costa à Fontainhas, dans la banlieue de Lisbonne (En avant, jeunesse !).
–Jérôme Momcilovic
The swallows and wind sing as if there were no one left in Salesse. Yet, beneath them someone is busy… an ogre. There is a lot to do in the undergrowth, in front of the building standing there like some monumental vestige. The ogre is at work, hobbling from one task to another, logs of wood to set in order, grass to be cut. The ogre grouses and grumbles, his patois is for the logs and grass. The ogre has a name and, besides, he is no ogre. Damien is a former farmhand who still lives on the large Salesse estate, in the Limousin region. We surmise that his whole life depends on these small jobs that, one morning, he offered (but turning his back) to Geoffrey Chambord’s camera; his mutterings are the music he plays for himself while working, a litany whose sole purpose is to keep the rasp of his scythe company. This life and music are supposedly well-known; the French countryside and the elderly who may well be the last to mutter below the swallows. But the Salasse that Geoffrey Chambord’s camera reinvents is an alien and mythological territory, a country of stones and giants on a sloping land under a wavering light, akin to that invented by Pedro Costa at Fontainhas in the Lisbon suburbs (Colossal Youth).
–Jérôme Momcilovic
Nofinofy
Documentaire | Madagascar, France | VOSTF | 2019 | 73 min | Cinéma Numérique 2K
de Michaël Andrianaly
"Coiffeur, c’est un des plus beaux métiers : tu touches la tête d’un autre être humain." Ce faisant, Roméo semble en extraire aussi des peurs, des colères, et ces rêves qui donnent leur titre au film. Huis-clos itinérant, Nofinofy suit cet artisan qui cherche à trouver enfin un lieu digne où exercer son art, et se déplace en attendant d’un quartier de Tamatave à un autre, de cabane en cabane. Ce qui ne change pas, au fil des mois, c’est que le salon de coiffure de Roméo reste un lieu de vie où des hommes (principalement) se retrouvent, boivent un verre, se racontent des blagues ou discutent très sérieusement de l’avenir de Madagascar. Car le dehors pénètre ce cocon, à travers les discours d’hommes politiques entendus à la radio, que les clients décortiquent en se demandant pourquoi ils se laissent piétiner. La précarité géographique du salon de coiffure reflète celle de ces êtres qui se demandent comment se situer dans une société corrompue et injuste, où travailler ne suffit pas à gagner sa vie. Les spectres des addictions et de la délinquance hantent le film, menaçant de faire basculer des situations déjà fragiles. Au détour d’une conversation avec son jeune fils, témoin de la violence ambiante, on apprend que Roméo a lui-même connu la prison. Au fil du temps, le cinéaste se laisse un peu découvrir lui aussi, s’immisce discrètement dans le cadre pour offrir sa tête à Roméo, et rendre à son ami un peu de l’écoute et de l’attention que celui-ci offre quotidiennement à ses clients.
–Olivia Cooper-Hadjian
“Hairdressing, is one of the finest trades: you touch the head of another human being.” When doing so, Romeo also seems to encounter fears, anger and the dreams that lend the film its title. An itinerant huis clos, Nofinofy follows this artisan as he searches for a decent place to practice his art, as he moves around Tamatave from one neighbourhood to another, from one shack to another. Over the months what does not change is that Romeo’s hairdressing salon is a place of life where (mainly) men meet, drink, tell jokes or very seriously discuss their country’s future. Because the outside world penetrates this cocoon through politicians’ speeches on the radio, which his customers dissect wondering why they let themselves be trampled on. The geographic precariousness of the salon reflects their own precarious existence as they ask themselves how they can find their place in a corrupt and unjust society, where a job does not earn you a living. The ghosts of addiction and delinquency haunt the film, threatening to upend already fragile situations. During a conversation with his young son, witness of the ambient violence, we incidentally learn that Romeo himself has been in prison. As time passes, the filmmaker gradually reveals a little about himself, slips discreetly into the frame to offer his head to Romeo and give his friend the ear and attention that he offers every day to his customers.
–Olivia Cooper-Hadjian