Last and First Men
De Jóhann JóhannssonDocumentaire, Islande, vostf, 2017, 71 min, Noir et blanc
Jusqu’à sa disparition prématurée en 2018, le compositeur islandais Jóhann Jóhannsson était avec Max Richter ce qui est arrivé de plus beau à la musique de film depuis des décennies. Né en 1969 à Reykjavik, il commence sa carrière musicale dans les années 80, participant à des groupes de rock indépendant ( Olympia , Unun , Ham ) avant de co-fonder Kitchen Motors , véritable laboratoire célébrant le dialogue entre toutes les musiques, de l’électro au classique en passant par le punk et le jazz, ligne qu’il approfondira inlassablement depuis Englabörn , premier album solo sorti en 2002. Ses mélodies mêlant arrangements électroniques et cordes entêtantes imposent des paysages envoûtants qui séduiront bon nombre de cinéastes dont Denis Villeneuve qui fera appel à lui pour tous ses films à partir de Prisoners jusqu’à la splendide partition de Premier Contact . Quant à l’inoubliable leitmotiv de The Theory of Everything , il en a transporté plus d’un. Toujours avide d’évoluer et d’expérimenter, il livrera en 2018 avec Mandy une forme de testament bruitiste et hanté, à l’image du film de Panos Cosmatos. Alors que son dernier chef-d’œuvre hors cinéma s’intitulait prophétiquement Orphée (2016), Jóhann Jóhannsson ne reviendra, malheureusement, plus jamais des limbes.
Nous n’avions pas eu sensation eschatologique si forte depuis la trilogie des Qatsi de Godfrey Reggio. Fasciné par l’architecture du chaos, Jóhann Jóhannsson filme les Spomenici , ces monuments gigantesques érigés sous la dictature communiste de Tito. Symboles de mort et d’oppression, ils se dressent vers le ciel comme des temples païens sur une terre en cendres. Le réalisateur emprunte le titre de son unique long métrage au livre d’Olaf Stapledon, roman de SF philosophique évoquant la fin des espèces humaines ; la voix apaisante de Tilda Swinton en lit les pages glaçantes tandis que retentit la musique tourmentée du compositeur (co-écrite avec Yair Elazar Glotman). Last and First Men est bel et bien un film de fantômes. Nulle humanité à l’horizon mais sa présence – du temps où elle existait – est palpable à chaque instant. En noir et blanc 16mm, voici une expérience hypnotique et terrifiante, chronique de notre disparition annoncée.