Tsuma Musume Haha + Pay-Less Monument
Tsuma Musume Haha
Documentaire | France | VOSTF | 2019 | 30 min | Cinéma Numérique 2K
de Alain Della Negra, Kaori Kinoshita
Comment se débrouillent les hommes japonais depuis que les femmes ont disparu ? Un postulat de fiction commande tacitement la documentation de rapports amoureux contemporains qu’Alain Della Negra et Kaori Kinoshita ont entreprise depuis plusieurs années. Si une spéculation si déconcertante peut exister, c’est parce que plusieurs phénomènes sont là pour l’accréditer. D’abord, bien sûr, l’amour sincère que des humains portent, partout dans le monde mais de manière particulièrement prononcée au Japon, à des représentations d’humains – objets inanimés (love dolls, dakimakura), avatars virtuels (popstars numériques, personnages de jeux vidéos) ou physiques (cosplay, kigurumi, zentaï). Mais aussi une inquiétude diffuse quant à l’avenir : dans un Japon frappé par les catastrophes naturelles, ébranlé dans ses structures économiques et sociales, hanté par la décroissance voire la disparition de sa population, où le désir trouvera-t-il un ancrage solide ? Âpre mais drôle, extravagant mais jamais ironique, le film de Kinoshita et Della Negra invente une forme documentaire nouvelle, joyeusement compensatoire, née de toutes les fictions par lesquelles se repeuple un réel aussi inquiet que vivant.
–Antoine Thirion
How are Japanese men coping since women disappeared? A fictional premise tacitly undergirds Alain Della Negra and Kaori Kinoshita’s several-year-long documenting of modern-day love relationships. If such a disconcerting speculation exists, it is because several phenomena are there to substantiate it. First, of course, the sincere love that humans give – everywhere in the world but very markedly in Japan – to human representations: inanimate objects (love dolls, dakimakura), virtual avatars (digital popstars, video game characters) or body costumes (cosplay, kigurumi, zentai). Then there is also a diffuse concern about the future: where can desire find a sound anchor in a Japan struck by natural disasters, its economic and social structures shaken, haunted by the decline or even disappearance of its population? Caustic yet comic, extravagant but never ironic, the film of Kinoshita and Della Negra invents a new documentary form, a joyful counterbalance created out of all the fictions able to repopulate a disquieting and vibrant reality.
–Antoine Thirion
Pay-Less Monument
Documentaire | France | VOA STF | 2018 | 44 min | Cinéma Numérique 2K
de Théodora Barat
Le laboratoire de Thomas Edison, une ancienne base militaire, le local d’une association d’ufologues… Dans ces différents lieux, des orateurs louent le génie et l’esprit de conquête américains, avec un art consommé du storytelling. Mais Pay-Less Monument se raconte autant dans les interstices qui séparent chaque séquence que dans les séquences elles-mêmes. Tous les lieux de mémoire et de fantasmes que nous découvrons ici sont, en quelque sorte, des monuments au rabais, comme ces pierres tombales bon marché auxquelles renvoient le titre du film. Tous se situent dans le New Jersey, territoire périphérique par essence, coincé entre New York et Philadelphie. À travers les récits quasi-mythologiques qu’ils livrent, ses habitants semblent tenter d’exister dans la grande histoire : celle des progrès scientifiques, des épisodes historiques, de la Vie (on a trouvé ici des ossements de dinosaures), et même de l’univers (une plaque explique que tel tas de fer fouillé fut jadis une antenne qui recueillit des traces du Big Bang). Face à ces discours, le minéral fait office à la fois de motif récurrent et de témoin impassible. Les images de Théodora Barat ne cessent de revenir sur ce moment où l’inerte s’illumine, des ampoules électriques d’Edison aux minéraux fluorescents sous la lumière ultraviolette, en passant par les bombes nucléaires... Entre les discours orientés des humains et la présence intemporelle du minéral, un texte de Robert Smithson vient faire le lien : le paysage semi-urbain du New Jersey, avec ses bâtiments aux larges baies vitrées, ne possède-t-il pas des qualités cristallines ?
–Olivia Cooper-Hadjian
Thomas Edison’s laboratory, a former military base, the premises of a ufology association… In these different venues, orators extol the American genius and spirit of conquest, with the consummate art of storytelling. But Pay-Less Monument tells its story as much in the interstices separating each sequence as in the sequences themselves. All of the places of memory and fantasy that we discover are, in some way, “discount” monuments, like the cheap gravestones referred to in the film title. All are located in New Jersey, an intrinsically peripheral state wedged between New York and Philadelphia. Through the almost mythological stories they tell, its residents seem to be trying to claim a place in national history: the history of scientific progress, historical events, life sciences (dinosaur bones have been found here), and even of the universe (a plaque explains that a jumbled heap of metal was formerly an antenna that found traces of the Big Bang). Faced with these discourses, minerals often serve as a leitmotif and impassive witness. Théodora Barat’s images repeatedly return to the moment when the inert bursts into light, be it Edison’s light bulbs, fluorescent minerals under ultraviolet light or nuclear bombs... Between humans’ biased discourse and a timeless mineral presence, a text by Robert Smithson forges links: surely, the semi-urban landscape of New Jersey, with its large bay-windowed buildings, displays crystalline qualities?
–Olivia Cooper-Hadjian