Dimanche 17 mars 2019 à 14h15

Salesse + Nofinofy

Sélection française

Salesse

Documentaire | France | SD | 2018 | 17 min | Cinéma Numérique 2K

de Geoffrey Chambord

Les hirondelles et le vent chantent comme s’il n’y avait plus personne à Salesse. Pourtant sous eux quelqu’un s’affaire, un ogre. Il y a beaucoup à faire dans les broussailles, devant la bâtisse plantée là comme un monu­mental vestige. L’ogre est au travail, boitant d’une tâche à l’autre, rondins de bois à ranger, herbes à faucher. L’ogre râle, maugrée, son patois est pour les rondins et les herbes. L’ogre a un nom, et d’ailleurs ce n’est pas un ogre: Damien est un ancien commis de ferme, qui n’a pas cessé d’habiter ce grand domaine de Salesse, en Limousin. Sa vie entière, on le suppose, tient dans ces quelques travaux qu’un matin il a offerts (mais en lui tournant le dos) à la caméra de Geoffrey Chambord; ses grommelle­ments sont la musique qu’il se joue pour accompagner son travail, une litanie sans autre objet que de tenir compagnie au bruit âcre de sa faux. C’est une vie et une musique a priori connues: la campagne française, et ces vieux qui seront peut-être les derniers à marmonner sous les hirondelles. Mais le Salesse réin­venté par la caméra de Geoffrey Chambord est une terre étrangère et mythologique, un pays de pierres et de géants sur une terre penchée et sous une lumière indécise, proche à cet égard de celui qu’avait inventé Pedro Costa à Fontainhas, dans la banlieue de Lisbonne (En avant, jeunesse !).

–Jérôme Momcilovic

 

The swallows and wind sing as if there were no one left in Salesse. Yet, beneath them someone is busy… an ogre. There is a lot to do in the under­growth, in front of the building stan­ding there like some monumental vestige. The ogre is at work, hobbling from one task to another, logs of wood to set in order, grass to be cut. The ogre grouses and grumbles, his patois is for the logs and grass. The ogre has a name and, besides, he is no ogre. Damien is a former farmhand who still lives on the large Salesse estate, in the Limousin region. We surmise that his whole life depends on these small jobs that, one morning, he offered (but turning his back) to Geoffrey Chambord’s camera; his mutterings are the music he plays for himself while working, a litany whose sole purpose is to keep the rasp of his scythe company. This life and music are supposedly well-known; the French countryside and the elderly who may well be the last to mutter below the swallows. But the Salasse that Geoffrey Chambord’s camera reinvents is an alien and mythologi­cal territory, a country of stones and giants on a sloping land under a wavering light, akin to that invented by Pedro Costa at Fontainhas in the Lisbon suburbs (Colossal Youth).
–Jérôme Momcilovic

Nofinofy

Documentaire | Madagascar, France | VOSTF | 2019 | 73 min | Cinéma Numérique 2K

de Michaël Andrianaly

"Coiffeur, c’est un des plus beaux métiers : tu touches la tête d’un autre être humain." Ce faisant, Roméo semble en extraire aussi des peurs, des colères, et ces rêves qui donnent leur titre au film. Huis-clos itinérant, Nofinofy suit cet artisan qui cherche à trouver enfin un lieu digne où exer­cer son art, et se déplace en attendant d’un quartier de Tamatave à un autre, de cabane en cabane. Ce qui ne change pas, au fil des mois, c’est que le salon de coiffure de Roméo reste un lieu de vie où des hommes (princi­palement) se retrouvent, boivent un verre, se racontent des blagues ou discutent très sérieusement de l’ave­nir de Madagascar. Car le dehors pénètre ce cocon, à travers les dis­cours d’hommes politiques entendus à la radio, que les clients décor­tiquent en se demandant pourquoi ils se laissent piétiner. La précarité géographique du salon de coiffure reflète celle de ces êtres qui se demandent comment se situer dans une société corrompue et injuste, où travailler ne suffit pas à gagner sa vie. Les spectres des addictions et de la délinquance hantent le film, mena­çant de faire basculer des situations déjà fragiles. Au détour d’une conver­sation avec son jeune fils, témoin de la violence ambiante, on apprend que Roméo a lui-même connu la prison. Au fil du temps, le cinéaste se laisse un peu découvrir lui aussi, s’immisce discrètement dans le cadre pour offrir sa tête à Roméo, et rendre à son ami un peu de l’écoute et de l’atten­tion que celui-ci offre quotidienne­ment à ses clients. 
–Olivia Cooper-Hadjian

 

“Hairdressing, is one of the finest trades: you touch the head of ano­ther human being.” When doing so, Romeo also seems to encounter fears, anger and the dreams that lend the film its title. An itinerant huis clos, Nofinofy follows this arti­san as he searches for a decent place to practice his art, as he moves around Tamatave from one neighbourhood to another, from one shack to another. Over the months what does not change is that Romeo’s hairdressing salon is a place of life where (mainly) men meet, drink, tell jokes or very seriously discuss their country’s future. Because the outside world penetrates this cocoon through poli­ticians’ speeches on the radio, which his customers dissect wondering why they let themselves be trampled on. The geographic precariousness of the salon reflects their own preca­rious existence as they ask themsel­ves how they can find their place in a corrupt and unjust society, where a job does not earn you a living. The ghosts of addiction and delinquency haunt the film, threatening to upend already fragile situations. During a conversation with his young son, witness of the ambient violence, we incidentally learn that Romeo him­self has been in prison. As time passes, the filmmaker gradually reveals a little about himself, slips discreetly into the frame to offer his head to Romeo and give his friend the ear and attention that he offers every day to his customers. 
–Olivia Cooper-Hadjian