Presque un siècle + Tout ce qui a une forme est appelé à disparaître
Presque un siècle
Documentaire | France | VOF STA | 2019 | 52 min | Cinéma Numérique 2K
de Pascale Bodet
Quiconque s’aventure à filmer les très vieux (la grand-mère de Pascale Bodet a 99 ans, presque un siècle) court le risque de voir l’oeil du spectateur ne retenir que le pittoresque du dernier âge. Pire: qu’on trouve le film « cocasse », « tendre », « touchant ». Si Presque un siècle est un film (très) drôle et (infiniment) émouvant, ce n’est pas tant, ou pas seulement, en raison de la drôlerie de ses personnages (Pierre, l’ami de la grand-mère, qui planifie son propre enterrement comme on organise un gala) ou de l’attention avec laquelle Pascale Bodet saisit les gestes endormis et le timbre vibrionnant d’une très vieille dame dont la vie se maintient sur un périmètre minuscule – petits efforts, petites plaintes, petits agacements. C’est parce qu’avec une innocence symétrique à celle de son personnage, il n’en finit pas de s’interroger autant sur ce grand âge que sur la possibilité même d’en faire un film. Cela commence avec les yeux et les oreilles, comme pour s’assurer qu’il y aura bien à voir et à entendre : la grand-mère s’inquiète pour les yeux de la petite-fille, et la cinéaste en retour l’implore de bien vouloir mettre à ses oreilles ses prothèses. Derrière la caméra, la cinéaste dit « mamie », mais c’est autant une parole de petite fille que de cinéaste aux prises avec son personnage et avec son film, tous trois mis à égalité jusqu’à la douce capitulation d’un « oui mamie » en parfait point final.
–Olivia Cooper-Hadjian
Anyone who ventures to film the very old (Pascale Bodet’s grandmother is 99, almost a century) runs the risk of seeing the spectator’s eye caught by the picturesque side of very old age. Worse still: the film is found to be “comical”, “tender”, “touching”. Although Presque un siècle is a (very) funny film and (infinitely) moving, its is not simply, or uniquely, due to the humorous side of its characters (Pierre, the grandmother’s friend, who plans his own funeral as if organising a gala) or to the attention with which Pascale Bodet films the sluggish movements and wavering timbre of a very old lady whose life holds on inside a tiny perimeter – small efforts, small complaints, small annoyances. It is also because, with an innocence symmetrical to with that of its character, the film constantly questions not only this great age but also the actual possibility of making it into a film. It begins with eyes and ears, as if to be assured that there will indeed be something to see and hear: the grandmother worries about her granddaughter’s eyes and the filmmaker, in turn, begs her to put in her hearing aid. Behind the camera, the filmmaker says “granny”, but this is as much a granddaughter’s expression as that of a filmmaker in contact with her character and her film – all three of them on equal footing until the gentle capitulation of a “yes, granny” comes as a perfect close.
–Jérôme Momcilovic
Tout ce qui a une forme est appelé à disparaître
Documentaire | France | VOSTF | 2018 | 16 min | Cinéma Numérique 2K
de Pierre Carniaux
Au sud du Japon, le volcan en éruption Sakurajima domine et menace de dévaster les villes avoisinantes. De là, Pierre Carniaux demande à son ami Yusuke Oba ce qui lui manquerait le plus si tout venait à disparaître. Se déploie alors la rêverie brumeuse d’un homme nostalgique d’une disparition annoncée. Sur la ville encore en mouvement, sous des regards témoins, se surimprime l’éruption, la lave. L’image brûle et prévient de l’effacement. Sous le feu, sous l’eau, la silhouette fantomatique de Yusuke accompagne la traversée d’une ville qui se dissipe, coincée entre un passé à venir et un futur déjà irradié par l’impermanence des choses. La voix vague et le visage vaporeux, le film le prend comme au réveil à la fois d’un monde en déliquescence et d’un renouveau.
« Les livres, lire, les amants, la mer » la voix lointaine de Yusuke énumère lentement les manques et élargie l’érosion. La lave s’étend, la destruction s’accroît atteignant les rues de Tokyo et tout ce qui semble édifier sa vie « arbres, jardin, odeurs, le ciel, pollution, famille, amis ». La crête d’une vague trace un dernier chemin et englouti la ville. Reste « le sentiment du néant » et la nostalgie d’une forme.
–Clémence Arrivé
In southern Japan, the erupting Sakurajima volcano dominates and threatens to devastate nearby towns and cities. From there, Pierre Carniaux asks his friend Yusuke Oba what he would miss most if everything were to vanish. A hazy reverie then unfolds from a man who expresses nostalgia for a disappearance foretold. The eruption and its lava are superimposed over the city still in motion, before eye-witnesses. The image burns and heralds obliteration. Under fire, under water, Yusuke’s ghostly silhouette accompanies the journey across a city that is disintegrating, trapped between a past yet to come and a future already irradiated by the impermanence of things. His voice vague and his face hazy, the film depicts Yusuke as being at the dawn of a decaying world, but also a renewal.
“Books, reading, lovers, the sea” Yusuke’s distant voice slowly lists what he would miss and widens the erosion. The lava spreads, the destruction grows, reaching the streets of Tokyo and everything that seems to compose his life “trees, garden, odours, the sky, pollution, family, friends”. The crest of a wave marks out a final path and engulfs the city. What remains is “ the feeling of nothingness” and the nostalgia for a form.
–Clémence Arrivé