L'Immeuble des braves + Ici je vais pas mourir
L'Immeuble des braves
Documentaire | France | VOSTF | 2019 | 23 min | Cinéma Numérique 2K
de Bojina Panayotova
"À Sofia, les habitants d’un immeuble mythique avaient été expulsés. Je venais y faire des repérages pour un film". Ce qui rend cet immeuble bulgare mythique, pourquoi ses habitants en ont été expulsés, et comment un travail de repérage est devenu un film, nous l’apprendrons, après ce bref carton introductif, comme Bojina Panayotova semble l’avoir vécu : à la manière d’un emballement soudain qui fait basculer le réel dans l’irréel plein d’action d’un thriller paranoïaque. Il suffit d’un coup de fil à un homme rencontré au préalable : "occupé à sauver le monde à sa manière" en ramassant des escargots sur la barrière d’une bouche de métro, il se présente trois petites minutes plus tard devant l’immeuble pour jeter des bouts de saucisse par les fenêtres de l’immeuble condamné en criant les noms d’un chat et de deux chiens semble-t-il prisonniers de l’habitation délabrée. Mais bientôt le gardien de l’immeuble se gare, interdit l’entrée et la caméra, menace de casser la gueule d’Ivan dont Panayotova suit les pérégrinations affolées dans le quartier, invectivant voisins à leur fenêtre, commerçants dans leurs boutiques ou chauffeurs de bus au volant. Qu’est-il advenu des chiens ? Ces "chers communistes", le chenil Éco-équilibre, quelque mafia arabe ou une « sauvagerie bulgare sans limites » seront les suspects provisoires de ce documentaire rocambolesque, lancé dans une fuite en avant dont la mécanique digressive l’apparente aux meilleures fictions.
–Antoine Thirion
“In Sofia, the residents of a mythical building had been evicted. I had come to hunt for film locations.” After this brief introductory title card, we discover what makes this Bulgarian building mythical, why its residents were evicted and how location-hunting turned into a film, as Bojina Panayotova seems to have experienced it: like a sudden burst of enthusiasm that tips reality into the action-packed irreality of a paranoid thriller. It only needs a phone call to a man met beforehand: “busy saving the world in his own way” by gathering snails off the railings of a subway entrance, he appears three minutes later in front of a building throwing bits of sausage through the windows of the condemned building, calling out the names of a cat and two dogs seemingly imprisoned inside the run-down dwelling. But soon the building’s caretaker drives up, forbids entry, bans the camera, and threatens to beat up Ivan. Panayotova follows Ivan’s distraught wanderings around the district, as he insults neighbours at their window, tradespeople in their shops or bus drivers at the wheel. What has become of the dogs? Those “dear communists”, the Eco-Balance dog kennels, some Arab mafia or other, or “boundless Bulgarian savagery” are the potential suspects in this outlandish documentary, which launches into a spiral whose digressive workings create similarities with some of the finest fiction films.
–Antoine Thirion
Ici je vais pas mourir
Documentaire | France | VOF STA | 2019 | 71 min | Apple ProRes
de Edie Laconi, Cécile Dumas
Ici, c’est la "salle de consommation à moindre risque", la salle de shoot, qui a ouvert en octobre 2016 dans un bâtiment de l’hôpital Lariboisière, à Paris. C’est un lieu dont le film ne sort pas, sinon quelques secondes sur un bout de trottoir, aux portes du générique. Un plan ou deux suffisent à désigner l’extérieur, pour rappeler l’hostilité d’une partie des riverains – un panneau "Non à la salle de shoot", entr’aperçu, ficelé à une fenêtre. Et c’est à ces riverains qu’il faudrait montrer Ici je vais pas mourir en premier lieu, les guérir de leur peur par la fraternité doucement dessinée par le film, leur donner surtout à entendre cet usager aux yeux embués par la fatigue et qui explique, simplement: "Nous-mêmes on fait du mal à nous, on va pas faire du mal à quelqu’un". Le lieu est blanc hormis quelques meubles fonctionnels, et sa neutralité un peu aveuglante est presque pour le film celle d’un white cube, un lieu effacé pour en laisser voir un autre, sans contours et bâti seulement par les mots auxquels Cécile Dumas et Edie Laconi donnent libre cours: celui de la défonce comme maison, comme pays, de ceux qui sont à la rue et à qui la salle offre repos, soins et considération. Le minuscule port d’attache de la salle de shoot devient ainsi pour le spectateur une précieuse salle d’écoute, pour comprendre que ce pays lointain où se sont perdus Bilal, Janusz ou Hervé, ne lui a en vérité pas grand-chose d’étranger.
–Jérôme Momcilovic
Here is the “lower-risk consumption room”, the drug injection room that opened in October 2016 in a building at Lariboisière Hospital in Paris. A place that the film never quits, except for a few seconds out on a stretch of pavement, as the credits open. One or two shots are enough to establish the exterior and remind us of the hostility of some nearby residents – the glimpse of a board tied to a window: “No to the drug injection room”. In fact, Ici je vais pas mourir should be shown first of all to these residents, so that the film’s softly portrayed fraternity can cure them of their fears and, above all, to have them hear the drug user who explains, simply, his eyes brimming with fatigue: “It’s ourselves we hurt, we’re not going to hurt anyone”. The place is white except for some functional items of furniture. Its rather blinding neutrality is like a white cube for the film, a place that fades away to make another one visible, with no contours and built solely from the words to which Cécile Dumas and Edie Laconi give free reign: a place where getting high is a home, a country, for those living in the streets and who find there rest, care and respect. This tiny home port offered by the drug injection room becomes a precious room for the audience, as it enables them to lend an ear and understand that this far-off country, where Bilal, Janusz or Hervé have lost themselves, does not in truth have much that is foreign.
–Jérôme Momcilovic