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    Affiche 2024 (détail)
    Affiche 2024 (détail) Design ABM Studio. Photos: Courage © Living Pictures Production / Queendom © CAPA / Les Prières de Delphine © CBADOC

    Édito: Contre-cartographies

    Un état du monde 2024.

    C’est peu de chose, dans le monde, un festival. C’est peu de chose, quand sa vocation et son propos sont géopolitiques, et que le monde tout autour, dans les bons jours, se désaxe, et dans les mauvais s’effondre. On se sent alors si petit·es au milieu des ruines, désarmé·es face à l’éveil des armes, désoeuvré·es face à l’impuissance des oeuvres. Programmer Un état du monde donne le vertige. Ce même vertige dont Camille de Toledo nous raconte l’histoire dans son dernier livre. Un essai capital à nos yeux, qui explore et déplore (comme Dürer déplorait le Christ) les fictions qui ont encodé nos vies et cartographié notre monde, et qui aujourd’hui gisent dans le vide qui s’ouvre sous nos pieds – qui s’ouvre en nous.

    C’est peu de chose, mais nous tentons, à l’aveugle, de cartographier ce monde dont l’état nous préoccupe. Conscient·es que la cartographie est déjà un point de vue, porté par une idéologie, une volonté de puissance, un code précis. La géographe Nepthys Zwer nous apprend que d’autres cartes sont possibles, et qu’un festival peut proposer une contre-cartographie, à travers les voix que portent ses invité·es. Ces cartes témoignent des frontières qu’on impose ou oppose, et dont les territoires sont les reliques amovibles. Du cinéma indépendant bélarusse à la Birmanie d’après le coup d’État, en passant par le conflit israélo-palestinien, les cartes n’en finissent plus, à la manière d’un palimpseste sanglant, de recouvrir, de creuser, de détruire les territoires qu’elles désignent. Ce qui donne des forces, et les rassemble, ce sont ces regards que le cinéma sait porter sur ce qui se dérobe aux dominations têtues (patriarcales, religieuses, politiques, sociales, symboliques). Ces regards qui se remettent en question devant la destitution du futur, devant l’instinct de survie qui demeure au fond de nous, comme le dernier tremblement d’une feuille sous le vent. On retrouve ces regards dans les films de Rosine Mbakam ou les travaux de Chowra Makaremi. On les retrouve aussi, tombés sous le sens, dans les mots que nous pèserons avec les éditions Anamosa.

    Cette éthique du regard-question et du mot pesé, qui est bien plus qu’une déontologie ordinaire, qui est bien plus qu’une délicate lucidité, est d’abord une manière de réhabiliter et d’habiter le monde avant sa fin. C’est sur cette crête fragile que se tient l’oeuvre de Laura Poitras. Comme un élan, sans doute inespéré, pour donner le vertige au vertige.

    C’est peu de chose, un festival, mais c’est tout ce que nous avons pour rester solidaires des combats que l’on croit justes – et des mondes que l’on devine possibles.

    Fabien Gaffez directeur artistique du Forum des images.