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    L'Eté de Kikujiro
    L'Eté de Kikujiro © Collection Christophel
    du 10 FÉVRIER au 31 MARS 2010

    Les pères

    du 10 février au 31 mars 2010

    “Le vrai père, c’est celui qui ouvre les chemins par sa parole.” La phrase de Christian Bobin constitue une belle introduction à ce nouveau cycle dédié aux pères. À une époque de transformations radicales du modèle familial classique, la paternité se modifie profondément, indissociable d’une recomposition du masculin qui ouvre sans doute une nouvelle période de l’histoire des hommes.

    1ère partie

     

    Les pères d’aujourd’hui ont peu à voir avec les pères d’autrefois, ceux que le cinéma et la littérature nous ont le plus souvent montrés, à travers des personnages masculins incarnant avec force ce modèle autoritaire (À l’est d’Eden) ou ne pouvant au contraire s’y conformer (Le Voleur de bicyclette). La psychanalyse a fortement contribué à cette construction d’un Père majuscule, porteur de l’ordre dans le foyer, chargé de séparer le couple trop fusionnel que la mère formerait avec son enfant. Cette vision monolithique était une continuation du modèle patriarcal féodal, mais qui faisait l’impasse sur un événement historique de taille : la Révolution française. Pourtant, couper la tête au roi, père de la nation, quel symbole ! 

     

    La part du père

    Ces transformations de la paternité vont de pair avec une nouvelle répartition des rôles entre hommes et femmes. Deux films ont su en leur temps s’en faire l’écho. Dans Trois hommes et un couffin, fantaisie féministe, Coline Serreau s’amuse à redistribuer les rôles. De l’autre côté de l’Atlantique, Dustin Hoffman avait interprété quelques années plus tôt un père divorcé apprenant à concilier vie professionnelle et paternité. Drôle et tendre, Kramer contre Kramer, film en sympathie totale avec un père nouvelle manière, prenait en compte l’évolution de la société américaine.
    Ces nouveaux rapports de parentalité entre hommes et femmes ont modifié les fonctions réelles et symboliques attachées aux pères. Les titres de quelques essais récents sont révélateurs de cette évolution et de ces questionnements : “Comment être père aujourd’hui” de Jean Le Camus (Éd. Odile Jacob, 2005), “La fin du dogme paternel” de Michel Tort (Éd. Aubier, 2005), “La place des hommes et les métamorphoses de la famille” de Christine Castelain-Meunier (Éd. PUF, 2005). 

     

    Une paternité à conquérir

    La paternité ne va pas de soi et les cinéastes filment désormais des pères qui osent l’émotion et avouent sans honte leurs doutes
    et leurs faiblesses éventuelles. Certains faisant même de leur paternité future un élément de leur travail créatif. Nanni Moretti explore avec humour cet entre-deux de l’attente de l’enfant. Aprile devient ainsi le journal intime et anti-berlusconien d’un futur père, angoissé avant l’accouchement. Une angoisse d’autant plus pertinente que le désir de paternité ne repose plus uniquement sur la filiation du sang et le désir de reproduction, en tant que certitudes universelles. Le film de Moretti illustre à sa manière une nouvelle conscience paternelle, peut-être plus profonde et plus affirmée. Un homme nouveau ? 

     

    Choisir son père

    Tout semble à réinventer aujourd’hui. Avoir un enfant devient un projet parental entre deux partenaires pas nécessairement de sexes différents. Quand et comment ? Pourquoi ? Encore d’autres questions que le cinéma commence timidement à aborder. Préférant souvent l’intime au social, le cinéma excelle à montrer les relations, souvent filmées comme plus harmonieuses, que des enfants établissent avec des pères d’adoption, qui deviennent des passeurs plus compréhensifs qu’un père naturel. Cette inversion romanesque du thème de l’adoption, où l’enfant choisit son père et non le contraire, illustre de manière originale les mutations actuelles non seulement du masculin mais du modèle familial classique : un père, une mère.
    “Le cinéma est le lieu du père”, disait Serge Daney, le ciné-fils. Cette formule heureuse explicite la relation affective qui nous lie à ces films “qui ont regardé l’enfance”. Ce moment, comme l’a intuitivement senti Daney, où le cinéma devient une famille. Certaines de ces oeuvres fondatrices sont projetées les dimanches après-midi, moment privilégié pour que la filiation et la transmission de ce beau mystère continuent. 

     

    2ème partie

     

    Après les patriarches et les pères en devenir, cette deuxième partie du cycle révèle une douceur retrouvée des pères, comme enfin permise à l’intérieur de modèles familiaux en plein bouleversement, et un rapport à l’enfance peut-être plus serein. Des rencontres-débats et des conférences complètent comme à l’accoutumée les projections de films. 

     

    Les films ont ce pouvoir de capter une part du réel, du monde dans lequel nous vivons. Ils sont un peu de notre mémoire collective des années écoulées, de ce qui fit l’ère du temps. Il en est ainsi de certains pères de cinéma, qui ont laissé leur empreinte sur les écrans et dans nos esprits. Parmi les films qui ont contribué à véhiculer une nouvelle image des pères, Kramer contre Kramer eut un retentissement peut-être oublié aujourd’hui mais néanmoins important. Pour la première fois peut-être, un homme divorcé élevant seul son fils était montré comme un père capable d’assumer les tâches domestiques tout en poursuivant sa carrière. Le féminisme était passé par là bien sûr et cette comédie bien contemporaine l’avait intégré. Il n’était pas anodin non plus que le père soit interprété par
    Dustin Hoffman, acteur incontournable du nouveau cinéma américain des années 70 chez Arthur Penn ou Sam Peckinpah. Tous les pères de l’époque pouvaient s’identifier au comédien, qui remporta le premier Oscar de sa carrière pour ce rôle. 

     

    La place des mères

    Kramer contre Kramer montrait qu’un père pouvait aisément assumer ses responsabilités en l’absence de la mère de son fils, qui avait quitté le foyer pour refaire sa vie. Nombreux sont les films qui semblent avoir besoin d’effacer les mères pour se centrer sur la relation père-enfant, souvent père-fils. Comme si ce vide dû à la séparation ou la mort était la base permettant de construire une relation entre hommes. Simple commodité de récit ou raison plus profonde, la question est posée. Il en résulte des duos magnifiques dans une filmographie riche et sans cesse renouvelée (Yasujiro Ozu, Fritz Lang, Sacha Guitry). Cependant, une fois le lien filial établi, Il faut marier papa(Vincente Minnelli) et trouver une nouvelle femme pour composer une famille “idéale”. Hors de ce schéma classique,
    le cinéma d’aujourd’hui filme de plus en plus des familles “atypiques” : ces familles recomposées dont nous parlent nos invités, reflets des nouveaux rapports entre hommes et femmes, entre masculin et féminin. On le sait, la paternité se modifie profondément, indissociable d’une recomposition du masculin qui ouvre sans doute une nouvelle période de l’histoire des hommes. 

     

    Portraits d’enfants

    À travers les pères, ce sont des portraits d’enfants qui sont également dévoilés. Apeurés ou admiratifs, les enfants sont ces miroirs qui renvoient à l’adulte une image de lui-même idéalisée ou crainte. Les films sur les pères sont donc aussi des films sur l’enfance. Parfois aussi des films pour les enfants quand la caméra est placée à leur hauteur, que les histoires plus grandes que nature se transforment en contes merveilleux mêlant imaginaire et réel. Un pantin de bois peut devenir petit garçon, un avion-jouet peut devenir réel. Cédric Kahn dans L’Avion a filmé ce basculement très naturellement, comme un rêve devenu réalité, osant mettre au centre de son film la mort du père, non pas comme source de mélodrame mais comme point de départ d’une aventure fantastique. Fritz Lang avait fait
    de même dans Moonfleet, incontournable récit d’initiation d’un garçon au courage poignant, capable de côtoyer les tombes et les cadavres d’un cimetière, et de transformer par son optimisme inébranlable un cynique contrebandier en père admirable. Qu’importe si cette croyance en l’homme n’est probablement qu’illusion… 

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