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    Édito

    Au début de L’Étoile mystérieuse, un vieil illuminé, répondant au nom de Philippulus le Prophète, nous annonçait que la fin du monde était proche. Nous étions en 1942 et on y croyait à moitié. Disons que la Seconde Guerre mondiale, et son cortège d’horreurs à venir, confirmait que l’homme n’est qu’un loup pour l’homme. En 2019, plus besoin de Tintin pour savoir que nous sommes entrés dans la dernière phase du monde connu, à tout le moins de la planète que nous habitons en viager.

    Partant de ce constat, sans délectation morose ni pessimisme mou, il nous faut à petits pas mettre en place des contre-feux. Avec les moyens du bord. Les nôtres sont ceux d’un festival « géopolitique » recentré sur des questions cruciales en temps de crise : que peuvent encore faire les cinéastes ? À quoi servent les images dans un monde qui voile sa propre perdition sous un flux ininterrompu de vanités numériques ? Notre manière d’agir politiquement, c’est de donner la parole à ceux qui font et défont le cinéma à travers le monde, à ceux qui font et défont le monde à travers le cinéma.

    Le temps des Cassandre sponsorisées ou des indignations spectaculaires est révolu : il ne faut plus sauver les meubles ou sa peau, mais tout, absolument tout, réinventer. Cette nouvelle édition est donc plus que jamais à l’écoute des combats et des questionnements de tous les cinéastes du monde. Des cinéastes, mais encore des intellectuels, des artistes, des femmes et des hommes d’action qui nous alertent quotidiennement sur la fuite en avant et la déliquescence du modèle capitaliste et tentent d’apporter, sinon des solutions, au moins des perspectives de changement, comme un droit à la déconnexion existentielle.

    Nous avions choisi de parler du Brésil avant que Bolsonaro, suivant la triste vogue populiste de ces dernières années, n’accède au pouvoir. Si une nouvelle génération de cinéastes a éclos, cette floraison, favorisée par les années Lula, est aujourd’hui visée par une politique culturelle incendiaire. Trois réalisateurs sont présents pour témoigner de cette nouvelle donne d’une nation grevée de contradictions. Autre pays qui entretient des rapports à géométrie variable avec les droits de l’Homme, et dans lequel la liberté artistique est compromise : la Chine. Le réalisateur Wang Quan’an filme un pays qui disparaît et ses peuples invisibles. Artiste majeur de la génération de Jia Zhangke, son travail est reconnu dans les plus grands festivals internationaux, insuffisamment en France. De même, l’actrice et réalisatrice marocaine Maryam Touzani s’inquiète de la condition féminine au Maroc, avec une force créative singulière.

    Autant d’hommes et de femmes qui se demandent comment filmer l’époque. En France, par exemple, avec le mouvement des Gilets jaunes, qui a produit, provoqué, inspiré de nouvelles images – et un nouvel imaginaire des luttes. Ou comment il faut se réapproprier son image dans la guerre médiatique qui se tient entre le pouvoir et ses « usagers ». Que nous reste-t-il à habiter dans ce monde ? Comment passer de la propriété vénale à l’appropriation vitale ? Les sociologues Pinçon-Charlot ou le philosophe Paul B. Preciado nous aiguilleront sur ces territoires mouvants.

    Dans un numéro récent des Cahiers du cinéma, l’oracle Jean-Luc Godard évoque ce bon vieux Sartre (figure obsolète de l’intellectuel engagé), écrivant à propos du peintre Lapoujade : « Hélas, l’indignation ne va pas au bout du pinceau. » Et Godard d’ajouter : « Cela correspond au peu de bien que je pense depuis longtemps des films dits militants. Pour les trois quarts, l’indignation ne va pas au bout du pinceau. » Le temps de l’indignation est passé. Celui des pinceaux à pointe dure est venu.

    Fabien Gaffez
    Directeur des programmes du Forum des images