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    Djihadisme, peut-on empêcher l'anéantissement d'une culture?

    en partenariat avec Courrier international

    D'avril 2012 à janvier 2013, la ville malienne de Tombouctou est tombée aux mains des islamistes. Dans Timbuktu, le cinéaste Abderrahmane Sissako livre le journal fictif d'une occupation aussi implacable que désespérante.

    « On ne peut pas empêcher le destin », murmure Kidane, le berger touareg protagoniste de Timbuktu. Dans le film du Mauritanien Abderrahmane Sissako, cet aphorisme s'applique aussi bien à son propre destin qu'à celui de la cité millénaire de Tombouctou, symbole absolu de la mosaïque de cultures du Mali. Depuis les temps immémoriaux se côtoient à ce carrefour historique du commerce saharien les nomades touareg, les pasteurs peuls, les cultivateurs songhaïs et bambaras, aussi bien que les pêcheurs bozos.

    Timbuktu dévide d'emblée le fil rouge de son propos : montrer comment l'Histoire peut basculer de la tolérance à l'obscurantisme, sous la férule de salafistes qui ne semblent répondre qu'à leur cruelle soif de domination. Dans ce paysage immense que le réalisateur filme avec un lyrisme qui contraste avec les personnages cyniques qui s'y déploient se joue la tragédie de la gazelle pourchassée. Cette scène initiatique résume toute la violence du témoignage-fiction que Sissako veut apporter au monde. La gazelle piégée symbolise l'anéantissement de la liberté et de la joie de vivre.


    Timbuktu d'Abderrahmane Sissako © Les Films du Worso - Dune Vision

    Certes, les matrones héroïques du marché, tout comme les bons vivants épris de musique et de poésie, tentent de résister aux commandements absurdes d'une interprétation archaïque de l'islam qui intime le silence, la subordination des femmes et la loi martiale d'un néant culturel. Toutefois, aucune conciliation n'est possible, pas même lorsque les sages de la ville, les imams traditionnels essaient de s'interposer et questionnent : « Où est dieu dans tout cela ? » Frappé par la lapidation à mort d'un couple par les sinistres occupants, Abderrahmane Sissako met en scène dans Timbuktu cet événement réel, comme une démonstration ultime de la morbidité d'une idéologie erratique.

    Plus aucun espoir ne subsiste, si ce n'est dans la transgression. Mais celle-ci ne peut qu'être extrême, à la dimension de la terreur, laisse entendre le cinéaste. La folie ou la mort, les échappatoires sont irréversibles. Une folie grinçante est ainsi incarnée par une sorcière, personnage fantasque dont l'irrévérence, paradoxalement, la préserve. Mais, meurtri, Sissako nous interpelle aussi avec la scène saisissante d'une mort consentie, comme un pied-de-nez pour échapper au piège de la barbarie.


    Timbuktu d'Abderrahmane Sissako © Les Films du Worso - Dune Vision

    Dans une surprenante séquence finale, Sissako semble pousser notre  questionnement à son paroxysme. Quel est le prix à payer pour ne pas se dissoudre dans l'anéantissement de soi, de sa culture ? Combien de temps la gracile gazelle tiendra-t-elle dans sa lutte acharnée pour la survie ? Un peuple se relèvera-t-il jamais d'avoir crié son désespoir dans le désert ?

    Sabine Grandadam, Courrier international
    @sgrandadam