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    La lutte contre le terrorisme justifie-t-elle tout ?

    en partenariat avec Courrier International

    En 2012 sortait sur les écrans Zero Dark Thirty, qui retraçait l’action de la CIA de 2001 à 2011, des attentats du 11-Septembre à la liquidation de Ben Laden. Les questions que le film soulève sur l’usage de la torture sont plus que jamais d’actualité alors que la France vient d'être à son tour le théâtre d’attaques terroristes.


    Début du film, écran noir. Des voix retentissent. Ce sont celles de victimes des attentats du 11 septembre 2001, enregistrées juste avant et peu après que les avions ont percuté les tours du Word Trade Center.

    Scène suivante. Nous sommes dans une prison secrète de la CIA, en 2003. Pays non précisé. Une séance de torture est en cours, celle d’un membre d’Al-Qaïda.

    Le raccourci est dérangeant. C’est ce qui a été reproché à Kathryn Bigelow, la réalisatrice oscarisée de Zero Dark Thirty : dans cette fiction très documentée sur la traque et l'exécution d’Oussama Ben Laden par la CIA, elle laisserait supposer qu’il existe un lien de cause à effet entre attentats et torture. La torture serait l'unique moyen de faire parler les djihadistes, pour empêcher de nouvelles attaques.


    Zero Dark Thirty © Collection Christophel - Universal Pictures

    Aveuglement

    À lire aujourd’hui le rapport du Sénat américain sur le « programme de détention et d’interrogatoire de la CIA » autorisé par l’administration Bush en 2002, force est d’admettre que c’est bien ainsi que l’agence de renseignement a raisonné jusqu’en 2008. Attaqués pour n’avoir pas su prévenir le 11-Septembre, les responsables de la CIA sont d’emblée partis du principe qu’un recours à la torture serait nécessaire. Le terme « torture » a été avancé par les conseillers juridiques de l’agence dès septembre 2001, alors qu’aucun suspect d’envergure n’avait encore été interpellé.

    Le personnage de Maya, l’héroïne de Zero Dark Thirty, incarne cet aveuglement. Analyste de la CIA, c’est elle qui va débusquer Oussama Ben Laden. Dans la réalité, selon des informations parues dans la presse américaine, elle s’appellerait Alfreda Frances Bikowsky, porterait sa part de responsabilité dans l’échec de l’agence à empêcher les attaques de 2001 et serait une partisane acharnée des interrogatoires très musclés. Dans le film, campée par Jessica Chastaing, elle n’a qu’une raison d’être : tuer le chef d’Al-Qaïda.

    Le doute, Maya ne connaît pas. Elle assiste à des séances de torture, y participe, en commande d’autres. Jamais elle ne s’interroge sur l’efficacité de ces interrogatoires. Jamais elle ne s’embarrasse de questionnements éthiques. Pour elle, la torture est « un job », une solution à la hauteur des circonstances pour obtenir des informations, avec ses avantages et ses inconvénients.


    Zero Dark Thirty © Collection Christophel - Universal Pictures

    L'ombre d'un doute

    À la fin du film, Maya repart pour Washington. Ben Laden est mort, mission remplie. Le spectateur reste avec ses questions. Pourquoi Maya a-t-elle fait sienne la mission de tuer Ben Laden ? S’agissait-il de servir la justice ou d’assouvir une vengeance ? Comment la CIA a-t-elle pu torturer durant des années sans que nul ne la force à examiner le principe de ses actes ? Quel rôle ont joué les responsables politiques ?

    Alors que la France vient à son tour de subir des attentats, la question se pose à nouveau : comment, en tant que citoyens, pouvons-nous nous assurer que nos services de renseignement, dans leur traque des djihadistes, ne cèderont pas à une colère aveugle qui les ferait basculer dans l’inhumanité ?

    Marie Bélœil, Courrier international            
    @InitialesMB