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    Cinéma ville - juin 2012

    Cafés de Paris

    Des modestes troquets aux terrasses chics de Saint-Germain-des-Prés, les cafés font partie du paysage parisien, au même titre que ses monuments. Le cinéma s’est emparé de ces lieux vivants qui sont comme autant de scènes de théâtre, réservoirs à histoires inépuisables qui font se côtoyer toutes sortes de gens.

    Lieu de discussion, d’effervescence, le café dans Masculin féminin de Godard est synonyme de prise de conscience politique, où l’on évoque la guerre du Vietnam ou la contraception. Dans Une femme est une femme, le cinéaste filme Anna Karina en pétillante stripteaseuse dans les cafés populaires du faubourg Saint-Denis. Car Godard fut un cinéaste politique mais aussi un cinéaste amoureux, un cinéaste des femmes et des idées (dans quel ordre ?). Décor de nombre de ses films dans les années 60, le café est une sorte d’ “aide à la fiction” qui rend possibles et naturelles des rencontres autrement improbables. Dans Vivre sa vie, Nana, jeune prostituée, devise dans le brouhaha d’un café avec le philosophe Brice Parain, qui joue son propre rôle. Comme un film dans le film, cette rencontre de hasard est l’occasion d’une longue discussion sur la pensée, le langage, l’amour et la vérité. 

     

    La fréquentation des cafés est pour les jeunes un jalon symbolique vers l’émancipation. Nadja, étudiante étrangère, parcourt sous le regard d’Éric Rohmer le Paris qu’elle aime, où les cafés tiennent bonne place. C’est aussi le lieu de rendez-vous privilégié des dragueurs des Mauvaises Fréquentations de Jean Eustache : n’est-ce pas là qu’on peut rencontrer des filles ? Le même y filme des scènes essentielles de La Maman et la putain. “Film-chambre” et “filmcafé”, il fait l’apologie de la terrasse et de l’oisiveté érigées en art, presque en posture philosophique. C’est à la terrasse des Deux Magots que le héros rencontre “la putain”. C’est aussi là qu’il aime lire l’après-midi. "J’ai l’intention de faire ça très régulièrement, comme un travail”, dit-il. “Je ne peux pas lire chez moi. Bernanos disait : ‘Je ne peux pas me passer longtemps du visage et de la voix humaine, j’écris dans les cafés.’ Moi j’en fais un peu moins, je viens y lire.” 

     

    Héritier d’Eustache et Godard, Philippe Garrel filme les cafés comme des lieux propices à l’échange. Dans J’entends plus la guitare, il est presque le seul extérieur. Comme pour ne pas distraire de l’essentiel, les personnages y sont cadrés serré et l’on n’entend pas le bruit des autres clients. C’est un lieu quasiment abstrait, lieu des confidences et de l’expression des sentiments. Les Nuits de la pleine lune montre des cafés où l’on vient plus pour le plaisir du rendez-vous que pour l’attrait d’un endroit particulier. Fabrice Luchini déclare : “J’aime de plus en plus les endroits impersonnels comme ici, les cafés sans clientèle d’habitués, noyés dans l’anonymat. Ça m’inspire, tu peux pas t’imaginer. La semaine prochaine, je reviens là pour écrire.

     

    ” Et Claude Sautet ? Peut-être parce que son père tenait lui-même un café à Montparnasse, il en a fait le décor récurrent de ses films, notamment César et Rosalie et Une histoire simple. À Michel Boujut qui lui demandait : “Le café, c’est le lieu magique auquel vous ne savez échapper ?”, Claude Sautet répondit : “Il n’y a rien à faire ! Le voudrais-je, les tournages m’y ramènent. Ces restaurants et ces cafés, où l’équipe se retrouve, créent toujours un brassage social entre ouvriers, comédiens, producteurs, techniciens. Un café est un havre, et je suis trop rat des villes pour m’en passer !”