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    Rome est-elle condamnée à devenir une ville-musée ?

    en partenariat avec Courrier international

    Rome, ville fermée, espace figé ? La capitale italienne est confrontée à certaines problématiques bien connues à Paris, comme la difficile réconciliation entre centre-ville et périphérie. La preuve par deux films, La Grande Bellezza et Sacro Gra.


    Rome, la grande décadente ?
    Au pied de la statue équestre de Garibaldi, sur le mont Janicule, un groupe de touristes japonais écoute religieusement le récit de leur guide – la caméra passe furtivement devant l’inscription du monument : Roma o morte. L’un d’eux s’éloigne, appareil photo au poing, pour canarder le paysage ; cette capitale monumentale, qui s’étend sous une lumière éclatante. L’homme s’écroule. Infarctus.


    La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino

    Difficile de ne pas lire dans cette scène d’ouverture de La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino (Oscar du meilleur film étranger 2014) une mise en garde. À travers le personnage principal du film, Jep Gambardella, écrivain raté et éminent représentant d’une petite société mondaine en pleine décadence, n’est-ce pas le destin de la Ville éternelle qui se lit ? Le Colisée, l’Aventin, la Fontaine de Trevi, la place Navone… c’est une Rome stéréotypée, mythique et figée dans sa splendeur que La Grande Bellezza donne à voir. Une ville-musée qu’on visite plus qu’on habite. Un scenario facilement transposable à Paris, avec une scène inaugurale place de la Concorde (par exemple) et quelques plans du côté de la Tour Eiffel, du jardin du Luxembourg, du Panthéon et du Marais…
     

    Rome, au-delà du périph ?
    Un autre film italien donne de Rome une représentation aux antipodes de la première. Sans commentaire ni voix off, Sacro Gra de Gianfranco Rosi (Lion d’or 2013) explore les franges de l’agglomération romaine, le long du Grande Raccordo Annulare (GRA) ce gigantesque périphérique qui entoure la capitale italienne - précisons que le GRA serpente bien loin du centre, sur soixante-huit kilomètres soit le double du « périph » parisien. On y rencontre des locataires de HLM, un botaniste fou, des prostituées décrépies : tous vivent au cœur de cette agglomération populaire établie aux abords du Grand Rome. Or, semble dire Gianfranco Rosi, n’est-ce pas dans cette Rome marginale et mouvante - que l’on habite plus qu’on visite - que se situe l’essence de la romanité ?


    Sacro Gra de Gianfranco Rosi

    Où est Rome ?
    Question récurrente du cinéma italien, des néo-réalistes à Fellini en passant par Pasolini, grand explorateur des borgate de la capitale. La Grand Bellezza et Sacro Gra montrent deux réalités d’une même métropole, qui s’ignorent parfaitement. Accaparé par les touristes et les hauts salaires, le centre historique de Rome – mais aussi celui de Londres ou de Barcelone, n’est-il pas voué à la mort ? Pour survivre, les capitales européennes ont-elles d'autre choix que de se réconcilier avec leurs périphéries ? Le défi du Grand Paris - faire de la capitale française une mégapole du XXIème siècle - se situe là, précisément. Si la métropole n’intègre pas suffisamment les territoires qui se trouvent de l’autre côté de son périph, le centre ne risque-t-il pas de devenir un espace figé, replié sur lui-même incapable de se renouveler, de se régénérer, car trop occupé à se regarder le nombril ?

    Lucie Geffroy, Courrier international
    @Geffroylucie