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    Debat Home Info Citizen Kane © Collection Christophel

    Le cinéma a-t-il renoncé à la critique sociale ?

    En partant de l'exemple de la représentation du journaliste à l'écran, Franck Nouchi, critique de cinéma au Monde, constate que la critique sociale semble avoir désertée les films de cinéma, tandis que les séries télévisées prennent le relais...



    par Franck Nouchi

     

    Longtemps, la question centrale des rapports entre le cinéma et le journalisme fut celle de la vérité. La vérité des faits, mais aussi la vérité du système médiatique lui-même. Le cinéma, via d’innombrables personnages de journalistes, croyait à la vérité rédemptrice, le bien le plus précieux auquel le peuple a droit, disait Abraham Lincoln. Mettre en scène les rapports entre le cinéma et le monde, montrer la réalité, mettre en cause les excès de pouvoirs octroyés par la possession de médias puissants, le cinéma – pour l’essentiel américain - se voulait défenseur des idéaux démocratiques.

    On connait la fameuse scène de Bas les masques (Deadline USA, 1952) de Richard Brooks.  Manteau et chapeau noirs, une vieille femme est assise dans un fauteuil. Elle s’appelle madame Schmidt et parle anglais avec d’autant plus de difficultés qu’elle a un très fort accent allemand. Face à elle, debout, Ed Hutcheson (Humphrey Bogart), le rédacteur en chef de The Day. Courageusement, elle est venue au journal témoigner contre un puissant gangster, Tomas Rienzi. « Mais pourquoi n’êtes-vous pas allée à la police », lui demande Hutcheson ? « I do not know police. I know newspaper. For thirty-one years, I know this newspaper ». Et elle ajoute: « J’arrive en Amérique pour être bonne citoyenne. Comment faire ? Je lis le journal. Le journal m’apprend à lire et à écrire ».

    Longtemps, donc, dans le cinéma américain, le journaliste fut un héros (souvent), une crapule (parfois), au même titre que le détective privé ou le cow-boy solitaire. De Citizen Kane (Orson Welles, 1941) au Gouffre aux chimères (Billy Wilder, 1951) en passant par Le Grand chantage (Alexander Mackendrick, 1957), Les Hommes du Président (A. J. Pakula, 1976) et Network (Sidney Lumet, 1976), impossible ici de recenser les centaines de films mettant en scène des personnages de journalistes. Que ce soit pour glorifier leur rôle irremplaçable ou, au contraire, pour dénoncer les dérives du système médiatique, tous semblent en définitive avoir été réalisés sous la bonne étoile de Thomas Jefferson qui disait qu’à tout prendre, il préférait une presse libre sans gouvernement plutôt qu’un gouvernement sans presse.

    Il n’y a pas si longtemps, le conseil de Bogart-Hutcheson à un journaliste débutant relevait de l’évidence : « Vous voulez être reporter ? Ne changez pas d’avis. Ce n’est pas le plus vieux métier du monde, mais c’est le plus beau ! ». Aujourd’hui, tout a changé. Le fonctionnement des médias et le regard que le cinéma porte sur la société de l’information. Internet est passé par là, mais pas seulement. Hollywood aussi s’est transformé, ne cherchant plus qu’à traduire cinématographiquement une réalité pré-formatée par le marketing.

    Voici venu le temps des biopics geek. Jobs, un film de Joshua Michael Stern entièrement consacré à la création d’Apple par Steve Jobs succède à l’écran à The Social Network (David Fincher, 2012) qui racontait l’histoire de Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebooks. Dans quelques semaines, nous saurons tout de la vie de Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, grâce à The Fifth Estate (Le cinquième pouvoir) de Bill Condon).

    Un magnat chasse l’autre. De Randolph Hearst à Steve Jobs, de Citizen Kane à Jobs, on mesure bien le chemin parcouru, tant dans les médias qu’au cinéma. Welles mettait en doute le rêve américain et le confrontait sans cesse au réel, Condon se contente d’une saga glorificatrice. Aujourd’hui, à en croire Hollywood, seules des personnalités comme Zuckerberg, Jobs et autres Gates seraient réellement capables de changer le monde. Peu importe que leurs joujoux planétaires bouleversent radicalement les règles de fonctionnement et les modèles économiques des médias. L’important est n’est pas là. Comme si le fameux adage de L’Homme qui tua Liberty Valance (John Ford, 1962) – « Quand la légende dépasse la réalité, imprimez la légende ! » - était devenu le nouvel impératif scénaristique hollywoodien.

    Peut-être alors faut-il alors se tourner du côté des séries pour espérer trouver des regards nettement plus intéressants et critiques sur l‘évolution du journalisme. En cette rentrée, Canal+ va diffuser House of Cards, une série crée par David Fincher et interprétée par Kevin Spacey. Produite et diffusée par l’opérateur de streaming Netflix (30 millions d’abonnés aux Etats-Unis, à raison 9 dollars par mois), elle met en scène une jeune journaliste qui se voit proposer un poste de correspondante à la Maison Blanche par le Washington Herald (sorte de pendant fictionnel du Washington Post). Signe des temps, elle refuse ce poste prestigieux et part travailler pour un site d’information flambant neuf.

    Après The Wire, la série cultissime écrite par David Simon, un ancien reporter du Baltimore Sun, et quelques autres pépites du même acabit, voilà bien où il faut aller regarder pour prendre des nouvelles de l’info.